dimanche 28 septembre 2014

un résumé de la situation: un port contre-nature

Un port contre-nature

Destruction de 13 ha de récifs coralliens à la biodiversité exceptionnelle, dragage, clapage en mer et création d'une mangrove artificielle sur le site d'une ancienne décharge... Voici le volet environnemental du projet d'extension du port de Fort-de-France, dans l'une des plus belles baies du monde, sur une île qui aspire à faire partie du Patrimoine de l'Humanité de l'UNESCO pour ses monuments naturels. Ces travaux ont été autorisés par un arrêté préfectoral le 13 octobre 2013 après une étude d'impact lacunaire, une enquête publique discrète et une concertation sujette à caution...

le 24/09/2014

Une biodiversité remarquable
une patate de corail, caye de la Grande Sèche, 2014
« Ce ne sont plus 266, mais 386 espèces différentes recensées sur la caye de la Grande Sèche », annonce Henri-Louis REGIS, président d'une association écologiste, l'ASSAUPAMAR, aux autres membres du Collectif « Préservons le Patrimoine de la Baie de Fort-de-France ». Des mises à jour sont souvent nécessaires, car ce chiffre évolue au gré des découvertes effectuées lors des plongées du groupe de recherche BIOSPHERE. 
En effet, c'est en apprenant la destruction programmée de 13 ha de la caye de la Grande Sèche que la CACEM (Communauté d'Agglomération des Communes du Centre de la Martinique) a mandaté ce groupe de l'Université des Antilles pour qu’elle démarre en urgence, un inventaire rapide de la biodiversité sur ce site que l'on dit dégradé. Cet inventaire fait partie du programme d’action du Contrat de Baie porté par la CACEM . Bien que les inventaires menés sur les cayes de fond de baie en mai 2013 par cette équipe furent fructueux, les chercheurs ne s’attendaient pas à trouver ces résultats qui allaient dépasser toutes leurs prévisions. En effet, parmi ces 386 espèces différentes, l’étude met en évidence 37 espèces de coraux (77% de la biodiversité des coraux de Martinique), dont 3 espèces sont reconnues « vulnérables » et 2 « en danger », par le classement UICN. Elle relève aussi la présence d'une espèce de zoanthaire inconnue à ce jour et d'une autre espèce « en danger », le Mérou de Nassau, Epinephelus striatus, seul prédateur connu du Poisson Lion, animal invasif et dangereux pour l’Homme pour lequel l’éradication a été réclamée par les services de l’Etat.
« La baie de Fort-de-France présente des conditions très particulières, explique un chercheur, elle recueille l'eau saumâtre de trois mangroves, soit des 2/3 des mangroves de Martinique. Cette baie bénéficie donc de conditions d’approvisionnements en eau unique. La présence d’espèces de coraux rares, de mollusques peu communs, d’ascidies peu communes, la présence d’éponges de mangroves et de certaines éponges absentes des côtes font des cayes qui les accueillent des biotopes uniques en Martinique».

Des mesures compensatoires aberrantes...
« Comment peut-on envisager de détruire des monuments coralliens si spécifiques pour en faire un vulgaire remblai ?!, » s’interrogent les membres du Collectif avec consternation.
Car en effet, les décideurs ont prévu de draguer 380 000 m3 de boue aux lieux prévus des extensions, puis d'excaver 13 ha de récifs coralliens sur 6m de profondeur afin de servir de remblai pour la construction des extensions. Une partie des boues seraient confinées dans des casiers puis plantés afin de créer une mangrove artificielle, celle-ci aurait la double mission de compenser la perte des coraux et d'éviter le clapage en mer des boues draguées. Le restant des boues ne pouvant être utilisées pour la création de cette mangrove, soit environ 80 000 m3, seraient clapés en mer. Il est aussi annoncé que les coraux d'intérêt seraient repérés puis « transplantés » et que des récifs coralliens seraient construits afin de compenser les récifs supprimés. Toutes ces mesures paraissent plus saugrenues les unes que les autres...
Une mangrove artificielle ? Selon les termes même du Président du Parc Naturel Régional de la Martinique (PNRM), « une mangrove se constitue et existe par les effets de flux et de reflux et en aucun cas ne pourrait empêcher les sédiments pollués de s'évacuer dans la baie » et il précise que ces sédiments pollués « risqueraient de se retrouver dans le périmètre concerné par un projet de réserve naturelle ». De plus, la création de mangrove artificielle n'est qu'au stade de l'expérimentation, celle promise dans la commune du Marin n'a d'ailleurs jamais vu le jour...
Transplanter des coraux ? Les coraux caribéens sont généralement caractérisés par une croissance très lente entre 0,3 et 1,2 cm/an pour les espèces décrites. Les massifs coralliens présentés dans les rapports montrent des constructions de plusieurs centaines d’années et de plusieurs tonnes. Ces structures sont le résultat d’une construction minutieuse dans des conditions spécifiques. Ils ne sont donc pas transplantables…
Des coraux artificiels ? Dans quelle mesure des constructions en béton peuvent se substituer à des constructions coralliennes pour abriter une biodiversité si spécifique?

Une démarche douteuse...
Quant à la démarche adoptée pour ce projet, elle est discutable à plus d'un titre !
L'étude d'impact fait état d'une caye dégradée n'abritant qu'une seule espèce « vulnérable ». Par ailleurs, elle comporte beaucoup d'insuffisances (fiabilité des données en courantologie, absence d'étude sédimentologique,...) pointées dans l'avis de l'Autorité Environnementale.
Le débat public a été escamoté ; la grande majorité des élus interrogés par le Collectif n'étaient pas au courant du projet, même son de cloche au niveau des associations, le registre d'enquête publique est vierge...Et bien qu'il soit question de coraux, l'Initiative française pour les récifs coralliens (lFRECOR) n'a pas été consulté, le PNRM non plus, contrairement à ce qu'a affirmé le Préfet dans un courrier adressée à l'ASSAUPAMAR, ces propos ont donné lieu à un vif démenti du Président du PNRM.
C'est ainsi qu'en absence de réelle concertation, ni débat, un arrêté préfectoral en octobre 2013 autorise ces travaux, en dépit de nombreux et importantes recommandations de l'Autorité Environnementale (AE) et de l'Office Départementale de l'Eau (ODE), et de l'avis défavorable de l'Agence Régionale de la Santé, au motif que le dossier n'apportait pas d' « éléments d'appréciation suffisants ».
Autre irrégularité notable du dossier soulignée dans l'avis de l'ODE : les projets détériorant la qualité des masses d'eau, ce qui est le cas de ce projet, doivent faire l'objet d'un dossier Projet d'Intérêt Général et il y est aussi précisé que « l'inscription d'un projet, à ce titre, réclame par conséquent de disposer d'arguments sérieux ». Ce projet dispose-t-il d'arguments solides ?

Comment peut-on donc autoriser la réalisation d'un tel projet ? Pourquoi agrandir un port que tous savent sous-utilisé ? Dans une île en panne de développement économique, où le chômage culmine à 22% et jusqu'à 55% chez les moins de 25 ans, l’argument économique est automatiquement avancé. Cette extension apporterait emploi et développement. Rien n'est moins sûr...Dans son avis, l'Autorité Environnementale dont les questions économiques ne sont pas la spécialité, s'autorise à qualifier d' « irréalistes » les hypothèses sur lesquelles reposent les justifications économiques du projet.
Peut-être s'autorise-t-on à prélever des matériaux de remblai sur la caye de la Grande Sèche, parce que ce serait tout simplement une récidive ; 18 ha de coraux ont été prélevés entre 1999 et 2002 pour les travaux concernant ce même port, en toute discrétion...
Informés en juin 2014 de ce projet et de la biodiversité exceptionnelle qu'il met en péril, des associations et des citoyens se sont regroupés en un Collectif nommé « Préservons le Patrimoine de la Baie de Fort-de-France » et ont lancé une pétition qui a recueilli, à ce jour, près de 1000 signatures...
Après le scandale du chlordécone, un pesticide particulièrement toxique et rémanent, la lutte contre l'épandage aérien, ce sont nos coraux qui sont menacés pour des raisons économiques contestables...
A l'heure où nos décideurs politiques vantent l' « exception biologique et géologique » de la Martinique à une délégation de l'UNESCO, nous, le Collectif « Préservons le Patrimoine de la Baie de Fort-de France » demandons le respect, dans les choix politiques et les actes concrets, de la Martinique, de ses terres, de son littoral, de ses mers et de ses habitants.



Le Collectif « Préservons le Patrimoine de la Baie de Fort-de-France.

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