Un
port contre-nature
Destruction
de 13 ha de récifs coralliens à la biodiversité exceptionnelle,
dragage, clapage en mer et création d'une mangrove artificielle sur
le site d'une ancienne décharge... Voici le volet environnemental du
projet d'extension du port de Fort-de-France, dans l'une des plus
belles baies du monde, sur une île qui aspire à faire partie du
Patrimoine de l'Humanité de l'UNESCO pour ses monuments naturels.
Ces travaux ont été autorisés par un arrêté préfectoral le 13
octobre 2013 après une étude d'impact lacunaire, une enquête
publique discrète et une concertation sujette à caution...
le
24/09/2014
Une
biodiversité remarquable
une patate de corail, caye de la Grande Sèche, 2014 |
En
effet, c'est
en apprenant la destruction programmée de 13 ha de la caye de la
Grande
Sèche
que
la CACEM (Communauté d'Agglomération des Communes du Centre de la
Martinique) a mandaté ce groupe de
l'Université des Antilles
pour qu’elle démarre en urgence, un inventaire rapide de
la biodiversité
sur ce site que l'on dit dégradé.
Cet inventaire fait partie du programme d’action du Contrat de Baie
porté par la CACEM .
Bien que
les inventaires menés sur les cayes de fond de baie en mai 2013 par
cette équipe furent fructueux, les chercheurs ne s’attendaient pas
à trouver ces résultats qui allaient dépasser toutes leurs
prévisions.
En
effet, parmi ces 386 espèces différentes, l’étude met en
évidence 37
espèces de coraux (77% de la biodiversité des coraux de
Martinique), dont 3 espèces sont reconnues « vulnérables » et 2
« en danger », par le classement UICN. Elle relève aussi
la présence d'une espèce de zoanthaire inconnue à ce jour et d'une
autre espèce « en danger », le Mérou de Nassau,
Epinephelus
striatus,
seul prédateur connu du Poisson Lion, animal invasif et dangereux
pour l’Homme pour lequel l’éradication a été réclamée par
les services de l’Etat.
« La
baie de Fort-de-France présente des conditions très particulières,
explique un chercheur, elle recueille l'eau saumâtre de trois
mangroves, soit des 2/3 des mangroves de Martinique. Cette baie
bénéficie donc de conditions d’approvisionnements en eau unique.
La présence d’espèces de coraux rares, de mollusques peu communs,
d’ascidies peu communes, la présence d’éponges de mangroves et
de certaines éponges absentes des côtes font des cayes qui les
accueillent des biotopes uniques en Martinique».
Des
mesures compensatoires aberrantes...
« Comment
peut-on envisager de détruire des monuments coralliens si
spécifiques pour en faire un vulgaire remblai ?!, »
s’interrogent les membres du Collectif avec consternation.
Car
en effet, les décideurs ont prévu de draguer 380 000 m3 de boue aux
lieux prévus des extensions, puis d'excaver 13 ha de récifs
coralliens sur 6m de profondeur afin de servir de remblai pour la
construction des extensions. Une partie des boues seraient confinées
dans des casiers puis plantés afin de créer une mangrove
artificielle, celle-ci aurait la double mission de compenser la perte
des coraux et d'éviter le clapage en mer des boues draguées. Le
restant des boues ne pouvant être utilisées pour la création de
cette mangrove, soit environ 80 000 m3, seraient clapés en mer. Il
est aussi annoncé que les coraux d'intérêt seraient repérés puis
« transplantés » et que des récifs coralliens seraient
construits afin de compenser les récifs supprimés. Toutes ces
mesures paraissent plus saugrenues les unes que les autres...
Une
mangrove artificielle ? Selon les termes même du Président du
Parc Naturel Régional de la Martinique (PNRM), « une
mangrove se constitue et existe par les effets de flux et de reflux
et en aucun cas ne pourrait empêcher les sédiments pollués de
s'évacuer dans la baie »
et il précise que ces sédiments pollués « risqueraient
de se retrouver dans le périmètre concerné par un projet de
réserve naturelle ».
De
plus, la création de mangrove artificielle n'est qu'au stade de
l'expérimentation, celle promise dans la commune du Marin n'a
d'ailleurs jamais vu le jour...
Transplanter
des coraux ? Les coraux
caribéens sont généralement caractérisés par une croissance très
lente entre 0,3 et 1,2 cm/an pour les espèces décrites. Les massifs
coralliens présentés dans les rapports montrent des constructions
de plusieurs centaines d’années et de plusieurs tonnes. Ces
structures sont le résultat d’une construction minutieuse dans des
conditions spécifiques. Ils ne sont donc pas transplantables…
Des
coraux artificiels ? Dans quelle mesure des constructions
en béton peuvent se substituer à des constructions
coralliennes pour abriter une biodiversité si spécifique?
Une
démarche douteuse...
Quant
à la démarche adoptée pour ce projet,
elle est discutable à plus d'un titre !
L'étude
d'impact fait état d'une caye
dégradée n'abritant qu'une seule espèce « vulnérable ».
Par
ailleurs, elle comporte beaucoup d'insuffisances (fiabilité des
données en courantologie, absence d'étude sédimentologique,...)
pointées dans l'avis
de l'Autorité Environnementale.
Le
débat public a été escamoté ; la grande majorité des élus
interrogés par le Collectif n'étaient pas au courant du projet,
même son de cloche au niveau des associations, le registre d'enquête
publique est vierge...Et bien qu'il soit question de coraux,
l'Initiative française pour les récifs coralliens (lFRECOR) n'a
pas été consulté, le PNRM non plus, contrairement à ce qu'a
affirmé le Préfet dans un courrier adressée à l'ASSAUPAMAR, ces
propos ont donné lieu à un vif démenti du Président du PNRM.
C'est
ainsi qu'en absence de réelle concertation, ni débat, un arrêté
préfectoral en octobre 2013 autorise ces travaux, en dépit de
nombreux et importantes recommandations de l'Autorité
Environnementale (AE) et de l'Office Départementale de l'Eau (ODE),
et de l'avis défavorable de l'Agence Régionale de la Santé, au
motif que le dossier n'apportait pas d' « éléments
d'appréciation suffisants ».
Autre
irrégularité notable du dossier soulignée dans l'avis de l'ODE :
les projets détériorant la qualité des masses d'eau, ce qui est le
cas de ce projet, doivent faire l'objet d'un dossier Projet d'Intérêt
Général et il y est aussi précisé que « l'inscription
d'un projet, à ce titre, réclame par conséquent de disposer
d'arguments sérieux ». Ce projet dispose-t-il d'arguments
solides ?
Comment
peut-on donc autoriser la réalisation d'un tel projet ?
Pourquoi agrandir un port que tous savent sous-utilisé ? Dans
une île en panne de développement économique, où le chômage
culmine à 22% et jusqu'à 55% chez les moins de 25 ans, l’argument
économique est automatiquement avancé. Cette extension apporterait
emploi et développement. Rien n'est moins sûr...Dans
son
avis, l'Autorité
Environnementale dont les questions économiques ne sont pas la
spécialité, s'autorise à qualifier d' « irréalistes »
les hypothèses sur lesquelles reposent les justifications
économiques du projet.
Peut-être
s'autorise-t-on à prélever des matériaux de remblai sur la caye de
la Grande Sèche, parce que ce serait tout simplement une récidive ;
18 ha de coraux ont été prélevés entre 1999 et 2002 pour les
travaux concernant ce même port, en toute discrétion...
Informés
en juin 2014 de ce projet et de la biodiversité exceptionnelle qu'il
met en péril, des associations et des citoyens se sont regroupés en
un Collectif nommé « Préservons le Patrimoine de la Baie de
Fort-de-France » et ont lancé une pétition qui a recueilli,
à ce jour, près de 1000 signatures...
Après
le scandale du chlordécone, un pesticide particulièrement toxique
et rémanent, la lutte contre l'épandage aérien, ce sont nos coraux
qui sont menacés pour des raisons économiques contestables...
A
l'heure où nos décideurs politiques vantent l' « exception
biologique et géologique »
de la Martinique à une délégation de l'UNESCO, nous, le Collectif
« Préservons le Patrimoine de la Baie de Fort-de France »
demandons le respect, dans les choix politiques et les actes
concrets, de la Martinique, de ses terres, de son littoral, de ses
mers et
de ses habitants.
Le
Collectif « Préservons le Patrimoine de la Baie de
Fort-de-France.
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